Depuis le mois d'octobre 2021, la compagnie Fontenaysienne Un Chat sur la Lune a mis en place un atelier de théâtre adressé aux femmes et filles de tout âge sur le thème des modèles féminins. Les séances ont lieu une fois par mois pendant quatre heures et demi.
Les participantes, inscrites à l'année ou seulement pour le jour, se réunissent autour d'un sujet lié au féminin et d'exercices de théâtre menés par les comédiennes et metteuse en scène Agathe Fredonnet et Marion Subtil.
À l'origine de cette démarche, il y avait une envie de questionner la construction identitaire féminine et de faire de la Femme le thème et le sujet d'une création théâtrale. Dans notre société, nombreuses sont les prises de paroles sur la place de la Femme et il paraissait juste d'apporter une vision plus intime, plus individuelle.
Ce qui est présenté ici est une partie de la production faite durant l'atelier :
• des textes racontant des souvenirs d'un point de vue d'un corps,
souvenirs réels ou fictifs, d'un temps vécu ou à venir.
• des photos, de soi dans « ses éléments », une représentation personnelle
avec 3 composants du passé, du présent et du futur, matériels ou abstraits.
Pour illustrer l'activité de l'atelier, il était important de montrer que chacune apporte ce qu'elle est avec ses complexités. Aussi, un exercice proposé fait un voyage selon l'interprétation qui en est faite. Il était primordial d'accompagner l'expression aussi hybride puisse telle être.
Pour la suite, l'atelier et ses participantes poursuivront la construction d'un objet théâtral mêlant différentes formes d'expression orale ou corporelle, écrite, improvisée, tout ce qui peut se faire par le biais du théâtre, tout ce qui paraîtra sincère aux femmes de l'atelier...
57 ANS - 24 Décembre 2021 - TOUBAB DIALAW
Il fera chaud - en plein midi.
La mer sera calme, étale.
Un voile liquide ondulera sous mes yeux ravis.
Orteils qui s'enfoncent dans le sable humide
- vent frais caressera les reins
tandis que l'eau arrive jusqu'aux chevilles,
plantées dans le sable mouillé.
L'eau sera froide, glacée au début.
Brûlure au début - genoux - cuisses!
Je m'aspergerai les fesses, les bras, la nuque, les aisselles.
Entre mes cuisses...
Tout se rétractera pour finir par se résoudre à l'envahissement
de cette fraîcheur infinie
Je me jetterai enfin dans les vaguelettes,
j'accepterai l'inondation soudaine de tous mes membres.
Explosion de fraîcheur liquide dans les oreilles,
par-dessus le crâne
mes cheveux me caresseront la nuque,
complices - s'étirer, agiter les bras -
les jambes, pousser les courants derrière moi pour nager
enfin dans cet océan salé, merveilleux...
Une enceinte qui diffuse le lento de la valse brillante
opus 34 numéro 2 de Chopin.
Un élastique, le tiraillement triangulaire entre trois lieux géographiques
Une étoile de mer en boîte, un prochain départ ?
Une sculpture, un objet-cicatrice
Quarante ans. Tous les jours pendant plusieurs mois.
Au début, c’est une sensation tellement légère
qu’on s’en aperçoit à peine. Je ne sais comment la décrire,
je ne sais même pas si c’est ça. Après tout, c’est peut-être
un minuscule spasme de mon intestin, un tressaillement
infime d’un muscle capricieux, là, dans mon bas-ventre.
Et puis, jour après jour, cela se précise. Ce n’est pas un spasme,
ce n’est pas un muscle. C’est lui. Il bouge. C’est tout petit,
mais très net. Ce n’est pas mon corps ;
c’est lui, blotti dans mon corps. Et puis cela devient
des mouvements : un pied qui gigote, une main qui me dit bonjour,
la tête qui cherche une nouvelle position. Ça fait des bosses,
des vagues sur mon ventre qui ondule et change de forme.
Je les suis avec ma main. Je caresse, je tapote. Moi aussi je dis bonjour. Et il répond. Et nous jouons à chat perché : son pied qui court partout et ma main qui le suit, l’attrape, le chatouille. Il est là, je le sens, il me sent.
Je suis heureuse.
12 Août 1990
Il est temps.
J’entreprends de me glisser dans la robe que j’ai voulue moulante, sexy. Ce n’est pas parce qu’on entre dans le cloître du couple qu’il faut s’habiller en bonne sœur.
Horreur ! J’ai dû grossir depuis que je l’ai choisie dans le magasin spécialisé. Mon bassin ne passe pas. Je rentre le ventre, j’arrête de respirer. Ça monte un peu. Quelques centimètres de tissu s’avancent sur mes hanches. Je me contorsionne tout en tirant sur la robe complètement tire-bouchonnée.
Attention ! Ne pas tirer trop fort ! Faudrait pas la déchirer juste avant la cérémonie. Ça y est, les fesses sont passées.
Continuons le combat.
Le haut est en forme de bustier, sans manches ni bretelles. Il faut que je parvienne à y encastrer mes seins.
Ils s’y glissent péniblement, moitié dedans, moitié dehors. Ça déborde. D’une main, je les repousse vers le bas, de l’autre je tire la robe vers le haut. Mais les deux seins remontent obstinément, surtout le droit, qui a toujours été plus gros.
Je voulais être séduisante ; me voilà avec un décolleté de pute et
des fesses moulées comme dans un short de cycliste. Je suis rouge
et congestionnée par l’effort. Et je vais devoir me marier en apnée.
11 septembre 1988 à 10h10 - 20 ans
Penchée sur les pieds de vigne, je manie mon sécateur,
les grappes de raisin juteuses et couleur pourpre s’entassent
dans le seau.
Je vais y arriver malgré cette intense douleur dans le bas du dos.
Ma vision est troublée lorsque je me relève.
Je puise des forces en le regardant, lui qui est aussi occupé à
ramasser du raisin.Je le retrouverai le soir, après cette journée
de labeur.
L’odeur de raisin et de la terre pénètrent jusqu’au plus profond de mon corps.Il faut se relever et soulever ce seau si lourd, mes mains sont pleines de jus de raisin.
Je le regarde, il me regarde. Nous nous disons tant de choses
à travers le regard, et nous savons que ce soir, alors que le soleil
se couchera sur les vignes, ce sera la fête.
Nous goûterons ensemble un bon vin.
25 ans, le 20 avril 2019
Je la sens cette douce brise, cet air marin,
ce vent qui me caresse et qui me fait du bien,
enfourchée sur mon vélo, au milieu des tulipes,
je profite de la vie !
63 ans, un jour d'automne 2057
Ils sont partis,
pff ça fatigue ces petits bouts d'énergie,
mon corps n'assume pas toujours ce que ma tête
aimerait encore faire, mon dos craque parfois,
je m'affale dans mon fauteuil préféré
et me voilà partie dans une sieste des plus agréables !
Et alors là, c'est festival ! Jaune, violet,
paillettes et tourbillons, tout s'agite
et devient poésie, le moindre son m'emmène
dans un nouvel univers.
J'aime me perdre dans ces rêves
qui me surprennent, parfois un visage familier,
parfois des souvenirs du passé qui refont surface,
tout s'agence pour créer une douce histoire un peu
alambiquée certes, mais après tout, c'est mon rêve,
j'en fais ce que je veux, je suis la spectatrice de mon propre film,
la réalisatrice de l'ombre, clap de fin.
NOIR. Je me réveille.